Quand un migrant poursuivi par les gendarmes m’a pris pour un SDF ça m’a fait à la fois sourire et réfléchir.
Les plus belles rencontres sont toujours inattendues. Quand j’ai décidé de marcher seul pendant 300 km de Calais à Dieppe le long de la mer du nord, je ne m’attendais pas à rencontrer cette réalité qui n’était que concept et statistiques.
Mais à côté de moi, à 4h du matin dans cette nuit noir, c’est un jeune éthiopien de 22 ans qui attend patiemment le départ des gyrophares. Son envol vers l’Angleterre vient d’échouer, tout comme un groupe d’une vingtaine de migrants qui se cache dans les buissons derrières moi. Après une journée de marche trop longue, une chute et un genou douloureux, je pensais passer une nuit tranquille à la belle étoile, aux abords du village d’Ambleteuse et des dunes de la Slack.
Mais une fois les baigneurs et touristes partis, c’est un autre décor qui se met en place. Les patrouilles de gendarmes, les jeeps sur la plage, les lampes torche qui me tirent de mon sommeil, les hélicoptères et avions qui débusquent les migrants avec leur caméra thermique.
J’avoue que je n’étais pas rassuré quand j’ai pris conscience qu’il y avait des gens à quelques mètres de moi, quand j’ai vu des ombres qui bougeaient dans les buissons.
L’une d’elle s’est levée pour s’accroupir à côté, me prenant pour un SDF. Ce jeune éthiopien se croyait à Calais, à 50 km de là. Il est resté avec moi une vingtaine de minutes, échangeant quelques mots et une barre de céréales, essayant d’identifier la gare la plus proche.
Et puis 2 groupes sont sortis des fourrés, entourant mon matelas et se demandant sans doute ce que je faisais là, avant de partir se cacher ailleurs, pour sans doute revenir la nuit suivante.
Ces moments ont été fugaces mais restent ancrés dans ma mémoire, comme cette femme avec sa fille de 8 ans qui avait soif, le geste de remerciement de ce jeune, la main sur le cœur. Je n’avais pas fait grand-chose, un peu d’eau et de nourriture à partager. Mais le plus important était sans doute de les accepter, de les reconnaître et de les respecter en tant qu’humain, de leur faire confiance.
Je n’ai pas dormi plus de 3 heures cette nuit-là, et j’étais content de voir l’aube se lever pour mettre en place le décor plus tranquille que les vacanciers exigeaient. En attendant le soir suivant, où tout recommencerait.
Cette nuit-là, ils furent 700 à tenter l’aventure, depuis Dunkerque jusqu’à la baie de Sommes, dans l’espoir d’une vie meilleure. C’est une réalité qui ne m’a plus quitté pendant une semaine de marche. J’aurai pu me masquer les yeux et renoncer à ma lubie des bivouacs dans les dunes. J’ai préféré continuer et accepter cette incertitude, la présence policière, des bruits étranges la nuit, une lumière dans un bois, le passage régulier des avions.
Pendant mon parcours jusqu’à la baie de Sommes, j’ai été touché tout autant par la présence invisible de celles et ceux qui ont tout perdu, sauf le rêve d’une vie en paix de l’autre côté du Channel. Des vêtements, des sacs de couchage, de la nourriture, des kits de voyage de prière. A chaque recherche d’un lieu discret pour mon bivouac, je tombais sur ces traces d’une histoire à la fois tragique et remplie d’espoir. Fuir et avancer pour ne pas cesser de vivre.
Je me posais toujours la même question, comme lorsque je suis tombé sur cette minuscule paire de basket sur une plage déserte : quelle est l’histoire de vie derrière ces chaussures ? où est l’enfant qui les portait ?
Quand je suis parti depuis Calais, j’avais l’intention de réfléchir sur les prochains défis à relever pour me sentir vivant.
Mais c’est autre chose qui a émergé. J’ai été marqué par le courage et surtout la foi de ces milliers de personnes prêtes à risquer leur vie. Où puisaient-ils cette énergie pour ne jamais renoncer ? C’était juste le désir ardent de vivre libre, et c’est énorme.
Alors au diable les challenges. Être vivant, c’est d’abord ressentir, vibrer dans son corps, être libre. Et cela ne se conjugue pas au futur. J’ai pris conscience que le plus important pour moi n’était pas de relever des défis mais de me sentir libre et pleinement vivant, de ressentir ce que je vivais dans l’instant. Et tout cela ne se conjugue pas au futur ni au passé. On ne peut ressentir que ce qui est là, dans le moment présent.
Ce sentiment de vie se puise tout autour de moi, dans toutes ces pépites que le désir de faire pourrait occulter : l’amour de ma conjointe, de mes enfants, des amis, des proches, mes conditions de vie, habiter en paix dans un si beau pays.
Alors pas de projets à planifier ni d’attentes à formuler. Juste vivre le plus intensément possible tout ce qui me rend libre et pleinement vivant.
C’est aussi ce que j’ai à cœur de partager avec toutes celles et ceux qui ressentent ce besoin de liberté, de se sentir vivant.e et en confiance pour faire sa trace au jour le jour et se laisser emporter par la frénésie de la Vie.
Encore plus qu’hier, ce désir ardent de vivre et d’être libre tisse la trame de mes propositions autour de la marche transformatrice et des séances de breathwork.