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Photo du rédacteurPhilippe BARAN

Se dépasser ou s'accepter

2 jours avant de partir accompagner un groupe dans le Luberon, ma décision est prise. Ma tête me dit d’annuler à cause de cette douleur au genou qui s’aggrave depuis des mois. Dès que je force un peu, une décharge électrique me stoppe dans mon élan, à cause d’une dégradation et inflammation du cartilage. Dans cet état, c’est illusoire de marcher 40 km en 3 jours avec un sac à dos.

Pourtant, je me laisse convaincre, essayant de dissimuler mon état aux participants qui remarquent bien que je boite. Le matin du départ, je ne m’imagine pas finir la journée. Depuis Mérindol, nous avons 600 m de dénivelé en montée et en descente. J’ai tout prévu, bâtons, genouillère, anti-inflammatoire.

Je marche lentement, mais la douleur revient insidieusement. Dans ma tête, cette croyance que les choses vont empirer, forcément. Le sentier commence à grimper, devient de plus en plus escarpé, mais ça tient. Avec mes bâtons, j’économise 30 % d’énergie, mais ça fait mal.

Alors je change de stratégie. J’essaye de mettre de la souplesse dans chaque pas, de me sentir léger. Et surtout, je remplace les « je dois » par « j’ai plaisir », à être ici, à respirer, à me connecter à la nature. Au lieu de la craindre, j’observe la douleur, je la ressens sans analyser, j’essaye de respirer à travers.



Une prise de conscience m’apparaît évidente. Ce que je crains le plus, ce n’est pas la douleur, mais ses conséquences : ne pas y arriver, décevoir, vivre la frustration de l’immobilité et de l’échec.

Alors j’essaye d’être ok avec ça, avec la déception, l’incapacité, l’impuissance. Je suis là où je veux être, et c’est une victoire. Je sens que des tensions s’apaisent, la douleur se transforme. Et je continue d’avancer, pas à pas.

À ma grande surprise, je suis en haut au milieu des Cèdres, tout heureux. Je réfléchis à redescendre en stop pour m’économiser. Car dans ma tête, la descente représente le pire pour mon genou. Merci Garance pour cette simple phrase : « fais toi confiance ».

Je prends mon temps, mais ça passe, c’est incroyable. 5h de marche, et je pourrai encore continuer en arrivant au gite. Mais je suis certain que je vais le payer le lendemain. Car c’est reparti pour 12 km entre Lacoste et Saint Pantaléon. La douleur s’amenuise et je me sens revivre, pleinement présent et vivant.

Le 3ème jour m’offre un nouveau défi avec les gorges de Véroncle près de Gordes. Un parcours plus technique où il faut quelque fois mettre les mains, avoir le pied assuré et le genou mobile. Je fais confiance au corps et dans la vie.

La journée se déroule comme dans un rêve. Je réalise alors que plus je marche, moins j’ai mal, ça me semble incroyable. Plus j’accepte les conséquences de la douleur, plus j’avance. Plus je lâche, plus j’ai confiance en moi.

Je suis souvent agacé par ces injonctions du milieu de l’aventure à dépasser ses limites, à résister coûte que coûte. Je n’ai pas dépassé mes limites, je les ai juste acceptées. Accepter d’être vulnérable et de ne pas y arriver. Mon corps a fait l’expérience de la différence entre la force et la puissance.

J’ai compris que mes douleurs me ramènent toujours à ma peur archaïque, celle de décevoir et de me sentir rejeté. Ce que nous craignons, ce n’est pas l’épreuve qui nous attend mais ses conséquences en cas d’échec. Faire confiance au corps, c’est lui qui sait, bien plus que ma tête qui me raconte toujours les mêmes histoires.

Mes peurs m’accompagnerons toujours, où que j’aille. Vouloir les dépasser, c’est comme vouloir dépasser son ombre en marchant, et c’est une arnaque de notre ego. Alors autant bien s’entendre avec et les amener avec moi dans mon sac à dos.

Marcher tous les jours, c’est le seul remède qui m’attend désormais dans les mois à venir. Un remède entièrement naturel qui me remplit de sens, de joie et de confiance.




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